Et si l’on vous disait que vous avez raté le bon « Suicide Squad » ? Que vous soyez un adepte des bande-dessinées de la firme DC Comics, ou que vous cherchiez un long-métrage animé fidèle à l’esprit de la série originale signée Bob Kane et Bill Finger, « Assaut sur Arkham » est fait pour vous.
Ce film d’animation fut réalisé par Jay Olivia, dessinateur et scénariste Philipin-Américain féru de comics et animateur de ses propres fictions, qui travailla au Warner Bros. Animation et profita de l’âge d’or des séries d’animation américaines (fin des années 90  et début des années 2000) pour travailler sur des projets de séries, comme « Spider-Man », « Extreme Ghostbusters », « Godzilla » ou « Jackie Chan Adventures ». Puis, il persévéra dans cette lancée en signant de nombreux films consacrés au personnage de Batman. L’atmosphère malsaine et teintée d’humour noir de ce long-métrage est directement inspirée de l’univers décalé et très sombre du jeu vidéo du même nom, qui nous présentait déjà le couple malsain du Joker et Harley Quinn.  Ces derniers, rendus fameux par le très malheureux Suicide Squad (2016) sont aussi tous, pour la plupart, des opposants aux multiples péripéties du Dark Knight dans l’excellent Batman: The Animated Series (1992) de Bruce Timm et Eric Radomski, distingué par un Emmy Award.
Petite excursion en asile psychiatrique
Amanda Waller, femme forte des services secrets assurant la relative protection de la ville, propose aux pires criminels de Gotham  de passer du statut de « hors-la-loi » à celui de membres des forces spéciales. A l’occasion d’une mission très particulière, cette dernière leur ordonne de se rendre à l’asile d’Arkham afin de récupérer une clé usb contenant des données très confidentielles volées par le Sphnix, amateur de devinettes et génie du piratage informatique. Leur obéissance est assurée par l’implant d’un puissant dispositif nanotechnologique dans leur nuque, et la promesse de son explosion au premier faux bond. Cependant, rien ne se passe comme prévu…
« Harley, si je ne te connaissais pas aussi bien, je jurerais que tu essaies de me tuer »
Batman, héros marginal vêtu de noir dont l’emblème est la chauve-souris, créature repoussante dans l’imaginaire occidental, incarne déjà une part de ce monde des ténèbres caractérisé par son extrême violence, mais qui n’a plus besoin de lui pour exister. Pour notre plus grand plaisir, le film sort des sentiers battus en se distinguant par son traitement très particulier des personnages. Bien qu’il soit généralement perçu comme un héros, le justicier de Gotham est ici relégué au second plan pour laisser place à Harley Quinn, Deadshot ou Black Spider, personnages de super-vilains qui vont paradoxalement réussir à s’attirer toute notre sympathie. Ce glissement de la représentation traditionnelle du héros s’effectue dès un générique exceptionnel où entrent en scène ces méchants tous très caricaturaux et imbus de leur personne sur une musique edm et des riffs pleinement assumés: le mesquin Captain Boomerang, Killer Frost et sa maîtrise de la cryokinésie, Kgbeast dont on ne verra que le parachute communiste, Deadshot qui parvient à déjouer ses gardes avec un unique criterium, ou enfin  Harley Quinn qui arrache l’oreille d’une infirmière avec ses dents. Le ton est donné: par ses personnages cyniques et grotesques, le film nous prépare à un univers affranchi des conventions et surtout où il fait bon d’être fou pour survivre. Le seul personnage semblant déroger à la règle est Deadshot, père de famille protecteur, qui cède néanmoins à une partie de jambe en l’air avec la copine du Joker (situation qui le mettra dans de beaux draps avec ce dernier).
Romans gothiques, Victor Hugo et Doppelgänger : Arkham, ou la parade des fous et des paradoxes
Comme l’attestent des représentations de la Fête des fous, grande mascarade médiévale où le peuple, accoutré de masques grossiers, prenait les rues et se livraient à divers actes subversifs, la folie effraie autant qu’elle peut provoquer l’amusement. A Gotham, tout est fête permanente, carnaval extravagant et burlesque : les vilains sont déguisés en bouffons, le héros est un hors-la-loi dénué de pouvoirs, et la justice, un simulacre. Corrompue jusqu’à la moelle, infestée par une pègre qui en a fait ses quartiers d’état, elle ne peut pleinement se réaliser que dans l’extrême violence. Les plus hautes autorités sont des mafieux dénués de scrupules, comme Amanda Waller, personnage servant de vecteur à une critique acerbe des autorités, prête à transformer des criminels en des bombes humaines pour les soumettre à ses ordres. La ville, elle même, est un personnage, celui d’une New York (Gotham comptant parmi ses multiples surnoms) infestée de malfrats déguisés en bouffons. Parmi eux, le Pingouin, personnage ridicule par son accoutrement et dégoûtant par son goût prononcé pour le poisson pourri, mais qui sait s’entourer de fidèles hommes de main, ou dégainer sa mitraillette-parapluie lorsque s’en présente l’occasion.

C’est Washington Irving, grand romancier américain gothique et romantique du XIXème siècle, rendu populaire par sa Légende du cavalier sans tête (adaptée au cinéma par Tim Burton –  les grands esprits se rencontrent) qui introduisit ce surnom dans un périodique satirique. Et pour cause, l’univers de Batman est inspiré de l’esthétique très sombre de ce courant littéraire : si on ne peut se permettre d’assimiler sérieusement le Chevalier noir à un Nosferatu ou à un Dracula, il est avéré que le Joker est un nouvel Homme qui rit, ou que l’asile d’Arkham est directement inspiré de l’oeuvre de Lovecraft, qui n’était pas exactement un romantique, mais dont les nouvelles fantastiques ont aussi pour cadre la ville d’Arkham, qui abritait aussi en son sein… un asile psychiatrique.

Le film joue constamment sur ce mélange des genres, balance entre l’horreur sordide et les scènes grivoises, le « Mad Love » et le comique de situation. Les personnages sont d’emblée décrédibilisés : notamment par des easter eggs ou des références bien cocasses qui sauront ravir les adeptes de séries B : King Shark, affreux dépeceur qui accroche ses victimes à des crochets de boucherie, se métamorphose subitement en Quasimodo, créature sensible aux charmes de la belle Killer Frost, alors même que sa monstruosité évoque le mutant Sharkman, ou l’un des « médecins » cannibales du jeu Outlast.

Pour conclure…

Si ce Batman parvient à se distinguer des blockbuster qui ruinèrent l’image de certains de ses protagonistes, c’est que ces derniers, malgré leur goût prononcé pour le mal, provoquent l’hilarité. L’humour, mature et cynique, rappelle, par moments, le meilleur des adaptations de Tim Burton. Le film ajoute un peu de légèreté à un univers dont l’esthétique s’était extrêmement assombrie ces dix dernières années, et qui avait recentré son attention sur le personnage du Joker au travers du roman graphique The Killing Joke d’Alan Moore et Brian Bolland, du style violent de la bande-dessinée Arkham Asylum de Dave McKean et Grant Morrison, ou même de la prestation d’Heath Ledger. En espérant que les réecritures de l’ouvre de Bob Kane et Bill Finger conserve son questionnement philosophique sur la nature du mal, intrinsèque au personnage du Joker.

Comme l’affirmait Victor Hugo, dans Notre Dame de Paris :
« Quand on fait le mal, il faut faire tout le mal. Démence de s’arrêter à un milieu dans le monstrueux. L’extrémité du délire a des délires de joie»
Diane T